Le cinéma tout feu tout femmes
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Le cinéma tout feu tout femmes

Le cinéma tout feu tout femmes

Le cinéma tout feu tout femmes

De Halloween à Millénium, d'Engrenages au Bureau des légendes, les héroïnes prennent le pas sur le mâle dominant. Enfin.
L'homme, plutôt bien mis, se sert un verre et parle posément à son épouse, qu'on découvre prostrée dans un coin, le visage tuméfié. Surgit une femme qui pend le fumier par les pieds avant de le convaincre de laisser tous ses biens à la malheureuse. La réjouissante séquence d'ouverture de Millénium. Ce qui ne me tue pas (sortie le 14 novembre) avec Lisbeth Salander, la justicière iconique de la saga suédoise créée par Stieg Larsson, annonce la couleur : les mecs n'ont qu'à bien se tenir.

 

Le cinéma tout feu tout femmes de l'autre côté de l'Atlantique

De l'autre côté de l'Atlantique, Jamie Lee Curtis, dans le Halloweenqui fait suite à celui de 1978 (et qui caracole en ce moment au box-office américain), est passée du rôle de la baby-sitter persécutée à celui de la grand-mère vengeresse. Et en France, tandis que Proust promet de mener une enquête encore plus musclée dans la septième saison d'Engrenages (sur Canal + en janvier 2019), Florence Loiret-Caille a pris la direction du fameux Bureau des légendes (actuellement sur Canal +).

Quelques exemples parmi d'autres pour signaler qu'ici ou ailleurs, la fiction de genre (policier, action, fantastique) n'est plus exclusivement réservée au mâle dominant. A lui de devenir un faire-valoir ! Les scénaristes se sont enfin décidés à troquer la sempiternelle poêle à frire de Madame contre un flingue, et ses tâches ménagères contre des missions périlleuses. La tendance, amorcée il y a quelques années, a évidemment pris un coup d'accélérateur avec l'affaire Weinstein et le mouvement #MeToo. Gaffe à ne pas crier victoire, tout de même. La remise à niveau est sur la bonne voie, mais il reste du chemin à parcourir. Un seul chiffre pour s'en convaincre : en France, seulement 25 % des cinéastes sont des femmes… et c'est le seul pays du monde à atteindre ce pourcentage ! Les héroïnes ne sont pas au bout de leurs peines.

Parce qu'il ne faut pas se leurrer. Les lignes ne bougent devant la caméra que si elles bougent aussi derrière. Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), l'a bien compris en lançant, au printemps dernier, le premier appel à projets en faveur de la production de films de genre. Et ce n'est pas innocent si, à la tête du jury chargé de sélectionner trois projets de long-métrage fantastique ou d'épouvante (qui bénéficieront chacun d'un soutien de 500 000 euros), on retrouve la cinéaste Julia Ducournau, qui secoua le monde entier (mais oui !) en 2017 avec son premier film, Grave, récit d'une étudiante en école vétérinaire, végétarienne, qui se découvre anthropophage.

“Un film d'horreur cannibale, musclé et élégant”, titrait le magazine Variety, bible des professionnels du cinéma. L'événement était de taille. De mémoire cinéphile, on n'avait jamais vu une jeune réalisatrice française s'attaquer au gore aussi frontalement et avec autant de talent. “C'est une date dans l'histoire du 7e art, confirme l'historien Michel Marie, auteur de La Belle Histoire du cinéma français en 101 films (Armand Colin). La tradition veut que les films de genre soient faits par des hommes. Grave écorne avec brio ce diktat et transgresse un tabou culturel.”

Ledit tabou n'est pas forcément celui qu'on croit. Après tout, ce n'est pas tant le cannibalisme qui a étonné que le sexe de la cinéaste. C'est que, dans l'inconscient collectif, formaté par des siècles de patriarcat, ces demoiselles sont incapables d'imaginer de telles histoires… Coralie Fargeat, réalisatrice de Revenge (sorti en février dernier), où une jeune femme exécute un à un des chasseurs qui ont abusé d'elle, a testé la sidération du public : “Combien de fois m'a-t-on répété : ‘On n'aurait jamais pensé que le metteur en scène était une femme !'… Normal, les gens n'ont pas l'habitude. Nous sommes si peu nombreuses. Ce n'est pourtant pas l'envie de toucher au genre qui manque, mais beaucoup ne s'y autorisent pas, car convaincre les décideurs demandent une détermination hors normes.” D'où l'importance d'avoir, en haut lieu, des décideuses.

Comment croyez-vous qu'une jeune fille, Ridley, s'est retrouvée en tête d'affiche de Star ?

Ce n'est ni un hasard ni un coup de folie. La décision appartient à Kathleen Kennedy, ex-associée de Spielberg devenue, en 2012, patronne de Lucasfilm. Son mot d'ordre était sans appel : le prochain Luke Skywalker sera une femme ou ne sera pas. Résultat : plus de 3 milliards d'euros de recettes pour les deux volets “nouvelle formule”. Pour la dénomination “sexe faible”, on repassera !

Rayon triomphe, il y a également la saga Hunger Games, avec Jennifer Lawrence en championne de la chasse, dont la deuxième partie, sortie en 2013, dépassera en entrées Iron 3. Avec une recette avoisinant les 800 millions de dollars, c'est le premier film mettant une femme en haut de l'affiche à se retrouver en tête du box-office depuis quarante ans – pour L'Exorciste, dont le genre féminin était représenté par une fillette possédée par le diable et une mère désespérée… Passons. Revenons plutôt sur Hunger Games pour une précision importante : sur les 12 personnes de l'équipe de production, 6 sont des femmes. CQFD.

Dans ces conditions se met en place “une stratégie d'ajustement au marché de la politique commerciale des studios, soucieux d'élargir le public du film d'action, écrit Raphaëlle Moine dans Les Femmes d'action au cinéma (Armand Colin). Après une première époque du New Hollywood […] où le public féminin était considéré ‘soit comme une niche commerciale, soit comme un complément au public jeune et masculin', les studios décident […] de produire des films plus fédérateurs et de toucher le public des femmes adultes notamment, au motif qu'elles seraient décisionnaires de la famille tout entière.” En ce sens, un pas de géante sera effectué en 2017 quand la Warner confie la mise en scène de Wonder Woman à Patty Jenkins (Monster, avec Theron). Une exception à une règle qui semblait jusque-là immuable : qu'il s'agisse de Sigourney Weaver dans Alien, Uma Thurman dans Kill Bill ou, plus près de chez nous, Anne Parillaud dans Nikita, seuls les hommes étaient habilités à diriger ces femmes de tête.

“Le seul fait de parler de ‘femme de tête' montre à quel point les mentalités ont du mal à évoluer, remarque Garance Marillier, héroïne de Grave et actuellement de la série fantastique Ad Vitam sur Arte. Parle-t-on d”homme fort quand il s'agit de Bruce Willis ou de Tom Cruise” ? Non, effectivement.

Et Cailley, réalisateur des Combattants, avec Adèle Haenel en para déterminée, et d'Ad Vitam, va dans le sens de sa édienne : “Il faut se battre contre ces idées reçues et ces archétypes sexistes.” Pas si simple. “Le premier jour de tournage d'Engrenages, se souvient Caroline Proust, la coiffeuse me demande quelle coupe je désire. Je lui ai répondu aucune, car la capitaine Berthaud n'est pas du genre à se coiffer. En trente ans de métier, elle n'avait jamais entendu cela.” Le fait est que, sur le sujet, la France évolue bien moins vite que les États-Unis. Aux effets de l'électrochoc Weinstein s'ajoutent les bénéfices d'une mutation entamée il y a une bonne vingtaine d'années. “On en était encore à Julie Lescaut que les Américains diffusaient Alias [série avec Jennifer Garner en James Bond féminine], s'exclame Anne Azoulay, actuellement dans les séries Ad Vitam et Le Bureau des légendes. Un vent souffle d'outre-Atlantique, mais il met du temps à s'installer durablement.”

Entre les mesures drastiques du ministère de la Culture en faveur de la parité (avec, notamment, l'octroi d'un bonus de 15% aux productions dont les huit postes principaux respecteront la stricte parité hommes-femmes), et des réalisatrices comme Julia Ducournau ou Coralie Fargeat, qui planchent déjà sur leurs nouveaux projets (pour l'une, le parcours d'une serial-killeuse, pour l'autre, celui d'une “héroïne de film de genre”), tous les espoirs sont permis. Ce n'est qu'un début, elles continuent le combat.

ZOOM : Un programme 100% féminin

D'après le site womenandhollywood.com, 71 longs-métrages réalisés par et avec des femmes sont dans les tuyaux à Hollywood (parmi lesquels des films de Madonna, Halle Berry, Natalie Portman ou Kristen Stewart). C'est bien. Mais voilà que les studios, soucieux de prouver leur engagement féministe, font de l'excès de zèle. Après SOS fantômes et Ocean's 8, les adaptations 100% féminines se multiplient. Dans le genre, sont annoncés un remake des Expendables écrit par les scénaristes de La Revanche d'une blonde, ou une version du Portrait de Dorian Gray avec Annie Clark, musicienne connue sous le nom de St. Vincent, dans le rôle-titre.

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Le projet de trop, c'est Sa Majesté des Mouches (d'après le roman de William Golding), où tous les jeunes garçons livrés à eux-mêmes sur une île et soumis à la loi du plus fort seront remplacés par des jeunes filles. Beaucoup de femmes critiquent l'idée, arguant que le but initial de l'oeuvre était justement de dénoncer les travers nocifs d'une société machiste. Surtout, cette nouvelle version, produite par Warner, est écrite et réalisée par Scott McGehee et David Siegel (Les Mots retrouvés, avec Juliette Binoche). Ça fait mâle.

 

Daylightpeople.com/  source : https://www.lexpress.fr/culture/cinema/le-cinema-tout-feu-tout-femmes_2045456.html

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